Mais justement, ce qui éveille la curiosité et l'imagination des hommes depuis toujours, ne peut pas se satisfaire du jour au lendemain d'une théorie scientifique, si rationnelle soit-elle. Ce qui ne s'explique pas, c'est l'impression, et peut être l'envie de croire, qu'une force surnaturelle est intervenue pour jouer avec ces osselets gigantesques. Ces blocs ont une présence si forte, par leur monumentalité, leur solitude et leur anachronisme, qu'ils dégagent une puissance intemporelle : ils constituent un véritable média pour se projeter dans un autre temps et un autre espace, exactement comme les squelettes de dinosaures.
Comme une météorite tombée du ciel ou une planète inconnue, un bloc est toujours une découverte. Un territoire inconnu dont on explore les différentes facettes.
D'abord la face éclairée par le soleil, qui contraste sur le fond bleu azur, puis, la face ombrée, qui se détache à contre-jour comme un grand point sombre dans le paysage lumineux. Il s'ensuit l'envie inévitable d'escalader le rocher pour visiter le sommet et voir le monde de plus haut. C'est un peu comme lire un voyage extraordinaire de Jules Verne : l'île mystérieuse cache obligatoirement un trésor.
J'ai une affection particulière pour un bloc situé sur la commune de Pelleautier (Hautes-Alpes). Il s'agit d'une petite pointe de granit qui émerge du sol au beau milieu d'un paysage de champs vallonnés, telle la pointe d'un iceberg qui transperce la surface de l'eau. Une petite pyramide dans le désert, que l'on peut gravir ou contourner en quelques instants ; montagne miniature, le géant te toise !
On pourrait facilement y voir un îlot avec son palmier. Une île en pleine terre figée par le temps, résurgence d'un monde souterrain, pointe d'un univers englouti auquel nous appartenions peut-être.
En découvrant ce paysage étrange où les proportions sont inversées, une relation privilégiée s'établit entre la nature et celui qui la contemple. L'idée d'être, pour une fois, plus grand que la montagne, aide certainement à prendre de la hauteur. Comme dans un jardin japonais, cela pousse à la méditation sur la place de l'homme dans l'univers.
C'est un projet d'Agnès Denes*, (où l'on voit la statue de la liberté sous différents angles, toujours au milieu des cultures) qui m'a inspiré le fait de réaliser des prises de vues en tournant autour du site pour mettre en évidence le contraste entre ce bloc, puissant symbole de liberté, et la campagne environnante cultivée et asservie par l'homme.
Un mastodonte isolé depuis la nuit des temps et dont on ne connaît pas vraiment la provenance, dégage forcément un sentiment de déracinement et d'apatrie. Ce sentiment s'associe, dans mon imagination humaine, à un symbole de liberté : liberté d'être là, liberté d'être cela, liberté de la nature de s'imposer dans un espace et un territoire géré par l'homme. Ce sentiment s'exprime comme un idéal dans la pierre massive qui défie le temps humain pour l'éternité.
Errances
La notion de mouvement (inhérente au temps) est bien présente avec ce qualificatif "erratique", c'est à dire "errant". C'est une idée qui renforce le mystère du déplacement, même si il a été élucidé par les théories des géologues. Il implique que la mobilité existe mais nous ne pouvons pas la constater à notre échelle humaine. Cela nous ramène donc à notre état de simples mortels face aux forces de la nature que nous devrions logiquement respecter. Les sociétés anciennes qui ne cherchaient pas à expliquer tous les phénomènes naturels, respectaient instinctivement l'environnement, de peur de susciter la colère des éléments naturels, qu'ils savaient ingérables par l'homme.
Dans notre société actuelle, la tendance est malheureusement à l'excès inverse, alors que nous savons évidemment, que ce n'est pas notre intérêt de polluer et détruire notre propre environnement. Malgré cette évidence, nous nous obstinons à ne pas voir la nécessité d'un changement de comportement.
Et pourtant, ce bloc erratique est là, il se voit comme le nez au milieu de la figure, comme l'idée que la nature reste notre maître, comment ne pas voir cette évidence ?
Mais, peu importe, la part de magie qui se dégage naturellement de ces lieux, à donné vie à des légendes comme celle des Chevaliers de la table ronde et du Roi Arthur. Tout un univers mythique du Moyen âge, qui nous fait toujours voyager dans le temps et l'imaginaire collectif. |