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Nature morte et anthropomorphisme
Ce dimanche matin, en visite hebdomadaire au marché de la Place des fêtes, (dans le XIXe arrondissement de Paris), je fais les courses, curieux de la variété et attentif aux prix. Je ne vois d'habitude que des fruits et des légumes plus ou moins frais, mais aujourd'hui, peut-être grâce à une belle lumière, ou une sensibilité exacerbée sur la question botanique, j'ai une sorte de révélation : les légumes me parlent…
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[ Poivrons crus - 08 ] |
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Je ne les trouvais pas seulement appétissants. Certains de ces végétaux, comme les pommes de terre, avaient soudain de drôles de têtes, des poivrons et piments évoquaient des courbures de corps, des textures de peaux, certaines teintes s'animaient…
Au risque de passer pour un type bizarre, j'ai choisi, pendant un bon moment, des poivrons chez plusieurs primeurs. Les marchands étaient d'ailleurs plutôt étonnés, voire même assez agacés de ma façon de choisir scrupuleusement les légumes, pour n'en prendre finalement que deux ou trois.
Mais qu'importe, je n'ai pas pu résister à l'appel du poivron. Un projet photographique a rapidement poussé dans la serre de mon imagination.
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[ Poivrons peints - 07 ] |
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Des portraits de pommes de terre, des corps et des peaux de poivrons, des monstres inconnus composés de plusieurs légumes, des ambiances lumineuses, des mises en scènes…
J'avais quelque chose à dire avec ces éléments naturels, quelque chose qui pouvait s'inspirer de l'esthétisme d'un Weston avec un peu de l'esprit d'Arcimboldo. J'espérais présomptueusement pouvoir y apporter aussi, un peu de ma sensibilité.
Pendant une dizaine de jours, j'ai conservé ces légumes au réfrigérateur pour étudier le vieillissement de la peau. J'ai été frappé par la ressemblance évidente avec la peau "animale", pour ne pas dire humaine, aussi bien dans son état jeune que dans son vieillissement, avec l'apparition des rides de plus en plus accentuées, jusqu'au dessèchement et la décomposition.
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[ Poivrons encadrés - 04 ] |
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La série est composée de 30 photographies dont 15 images encadrées.
Textes et photographies
© Laurent Meynier 1991
Les réflexions photographiques
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Encadrements
Quand on travaille vers la Rue des Rosiers, dans le quartier des puces de Saint-Ouen à Paris, on baigne dans un univers de "brocs" (brocanteurs) et donc de récupérateurs en tous genres.
Quoi de plus naturel donc, que d'envisager des encadrements en matériaux de récupération ? Des poivrons au four par exemple…
Cadres en tole émaillée martelée et bois aggloméré, plexiglass, pièces de gazinières en acier. |
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Famous peppers
Qui dit "poivron" dit "Edward Weston", évidement.
Pourquoi les photos de poivrons de Weston sont-elles célèbres ?
Il faut restituer ces images dans le contexte de l'époque pour le comprendre.
En 1932, Willard Van Dyke, Imogen Cunningham, Ansel Adams et Edward Weston, fondent le fameux groupe "f-64" qui deviendra une reférence incontournable de la photographie américaine du XXe Sciècle.
"f-64" fait référence à la plus petite ouverture de diaphragme d'un objectif de chambre 8x10", leur outil de prédilection. Le fait d'utiliser cette ouverture permet d'avoir une profondeur de champ maximum et donc une netteté de quasiment tous les plans, qu'ils soient proches ou éloignés. C'est un concept que certains n'hésitent pas à qualifier de "photographie pure", en raison d'un parti-pris descriptif, supposé éminemment objectif, en opposition au pictorialisme usant du brouillard, flou romantique et subjectivité de l'image.
On peut dire que c'est grâce à ce groupe que la photographie a pu acquérir ses lettres de noblesse aux USA. En effet, ils ont apporté à la photographie un nouvel esprit de recherche artistique qui à complètement régénéré le courant pictorialiste en vogue à cette époque. Quand le pictorialisme visait à se rapprocher au maximum de la peinture et notamment de l'impressionnisme, l'idée de "f-64" était d'utiliser la photographie pour elle même, et d'explorer plutôt toutes les possibilités techniques offertes par la chambre photographique et par le laboratoire argentique.
C'est le début de ce que l'on nomme aujourd'hui le "fine art", c'est-à-dire de la photographie en tant que média artistique. |
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