Ses fameux bustes caricaturés qui représentent des caractères et des sentiments humains (Le vaniteux, l'indécis, le rusé,…) m'avaient profondément marqué lors d'une visite au musée d'Orsay. Le côté soi disant anecdotique de ces têtes n'est rien à côté de la puissance expressive qu'elles dégagent. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'œuvres secondaires ou d'un bricolage artisanal comme il est "d'usage" de le penser.
J'y vois une grande profondeur et une lucidité incontestable dans l'expression de la Comédie humaine, d'ailleurs Balzac avait parlé de Daumier en ces termes : "Ce gaillard qui a du Michel-Ange sous la peau".
Partant de là, j'ai voulu explorer à mon tour des pistes ouvertes par Daumier, le visionnaire humaniste et représenter, non pas des caractères ou des sentiments humains comme lui, mais des sensations, des ressentirs, des notions moins nettement définissables, surtout par un seul mot.
C'est pourquoi je n'ai pas cherché à représenter ou à caricaturer mais j'ai essayé de suivre la piste expressive.
Qu'il y a t'il de plus humain et de plus difficile à exprimer que le ressentir, la sensation, l'idée interprétée de l'autre ? Quoi de plus subjectif aussi ?
Les vanités humaines immuables
Tout le monde connaît les dessins de presse humoristiques et les petits bustes de bronze* admirables des personnages politiques et des sentiments humains. Pourtant, c'est précisément cette étiquette qui lui a collé aux pieds toute sa vie, l'empêchant de devenir l'artiste épanoui et notamment le peintre du premier rang qu'il aurait dû être.
Mais pour ses contemporains, Gustave Coubet en tête, Daumier est méprisable. Dans les milieux bourgeois et les salons parisiens, il est considéré comme un "artisan-imagier", un dessinateur tout juste "amusant".
Pourtant sa grandeur d'âme, évidente dans le choix de ses sujets et son génie artistique, lumineux dans sa peinture, annoncent une modernité qui fera référence chez d'autres peintres. Rouault avec ses saltimbanques, Giacometti avec ses Don Quichotte, Toulouse Lautrec avec ses acteurs et d'autres expressionnistes comme Munch ont été loués par les critiques d'Art pour des œuvres en tout point comparables à celles de Daumier qui était pourtant leur prédécesseur pour ne pas dire leur précurseur.
Si Honoré Daumier avait été écrivain plutôt qu'artiste, il aurait peut-être pu récolter le succès que son génie artistique méritait. Mais (en 1808) Daumier n'était pas né du bon côté du manche. Fils de vitrier, il quitte l'école à 12 ans, enchaîne les petits boulots avant de "râper" les pierres pour les préparer à l'illustration des journaux sous la Monarchie de Juillet. Emprisonné six mois pour "délit de presse", il dessine une galerie de portraits de ses codétenus et continue les dessins de presse jusqu'en 1860, sans recevoir aucune reconnaissance artistique. Pire, il est remercié par son journal et contraint à déménager.
Heureusement, il compte quelques amis comme Baudelaire, le seul critique qui défende son travail et Corot qui lui donne une maisonnette pour s'installer.
Il essaie de vivre de sa peinture, mais les critiques déprécient son travail de peintre au salon d'automne. Ils ne voient en lui qu'un caricaturiste sans envergure artistique et il ne sera donc jamais reconnu de son vivant. Il perd encore une grande partie de ses œuvres en plâtre durant le transport d'une exposition rétrospective en 1878. Il meurt pauvre et atteint de cécité en 1879.
Daumier humaniste
Honoré Daumier est d'abord un grand humaniste. Il a pourtant exprimé sa sensibilité artistique de façon très novatrice, impressionniste avant l'heure dans le rendu de la lumière, mais influencé par les grands maîtres comme Goya ou Rubens, il a su apporter un regard nouveau sur la condition humaine. Peintre des grands sentiments, de la justice, de l'honneur, de la vertu et des petites gens, il s'est rapidement mis à dos la bourgeoisie, l'aristocratie politique et artistique de son époque justement parce qu'il l'avait dépeint sans compassion.
Daumier s'intéresse aux gens et non pas à la gloire, c'est ce qui le fera rester du même côté de la barrière que le peuple, les sans noms et sans avenir. C'est pourquoi Honoré Daumier aurait pu tenir le rang d'un Zola ou d'un Balzac s'il avait choisi la plume plutôt que le burin, mais sous le joug de la Comédie humaine, il fût connu pour ses caricatures et oublié pour sa peinture, alors qu'il avait sa place au premier plan avec les plus grands artistes de sa génération. |